Bernard Lututala Mumpasi - Professor/researcher

Bernard Lututala Mumpasi - Professor/researcher

Migrations et Expansion de l’Eglise Kimbanguiste de la RD Congo - Pistes de Recherche (2013)

Chapter in Elikia Mbokolo et Sabakinu Kivilu (sous la direction de), Simon Kimbangu : le prophète de la libération de l'Homme noir, Kinshasa : L'Harmattan


 

 

Introduction

 

L’église kimbanguiste, plus exactement l’Eglise de Jésus-Christ sur la Terre par le Prophète Simon-Kimbangu (EJCSK), a pris naissance en 1921 à partir des œuvres du prophète Simon Kimbangu, un ancien catéchiste protestant qui a  prêché, entre autres choses, l’émancipation du congolais, voire du peuple noir,  et la fin du colonialisme belge. Considérée par le colonisateur comme une atteinte à la sûreté de l’Etat, cette prédication a valu à Kimbangu d’être arrêté, jugé, puis condamné à une peine capitale, commuée par la suite en un emprisonnement à vie.  Il fut relégué à Lubumbashi, à plus de 2 000 km de sa terre natale,  où il a purgé sa peine de 1921 à 1951, année au cours de laquelle il est mort en prison, dans sa cellule, après 30 ans de détention, faisant de lui un des prisonniers les plus célèbres de l’humanité. Depuis sa relégation, sa femme Marie Mwilu, puis ses enfants, plus particulièrement son fils cadet Joseph Diangienda Kuntima, et maintenant ses petits-enfants, ont pris le flambeau et ont poursuivi l’œuvre de Simon Kimbangu. Aujourd’hui, l’Eglise Kimbanguiste est la troisième église en RD Congo si l’on considère le nombre de fidèles, après l’Eglise Catholique et l’Eglise Protestante.  Elle serait présente aujourd’hui dans 38 pays du monde ! En 1981, on estimait à 5 millions le nombre de kimbanguistes disséminés à travers le monde.

L’église kimbanguiste  est la première église autochtone en RD Congo. Elle s’investit beaucoup dans le social : 1 071 écoles primaires et 540 écoles secondaires du réseau kimbanguiste fréquentées respectivement par 200 653 élèves et 79 874 élèves en 2007-2008, 4 928 enseignants mobilisés dans son réseau d’enseignement (Iloankoy, n.d.:164).   Depuis 1994, elle a une université, l’Université Simon Kimbangu (USK), qui fonctionne à Kinshasa, organise des enseignements dans plusieurs facultés, dont celle de médecine, et accueille plusieurs milliers d’étudiants. L’église kimbanguiste a aussi un réseau d’infrastructures médicales fort impressionnant  à travers le pays. On peut citer l’Hôpital Kimbanguiste dans la Commune de Kimbanseke à Kinshasa, plusieurs dispensaires à travers le pays, pour ne citer que celles-là (Iloankoy, n.d.; Asch 1983). Son siège, la Cité Sainte de Nkamba, est un lieu spirituel de recueillement qui draine de millions de fidèles et de visiteurs chaque année, lesquels prennent d’assaut son Temple gigantesque de 36 000 places. On y érige, entre autres,  une « Vula dia mintinu » (Cité des Chefs) avec un objectif de 350 villas de haut standing, dont certaines sont déjà fonctionnelles. 

Plusieurs recherches ont déjà été faites et publiées sur cette église. Notre décision de mener des investigations sur le thème « Migrations et expansion de l’Eglise Kimbanguiste » est née de trois préoccupations intellectuelles.  La première est celle de procéder à une étude de cas d’un champ de recherche qui intéresse de plus en plus les spécialistes des migrations d’une part et ceux des études religieuses d’autre part. Ces deux phénomènes, qui ont jusque là été étudiés séparément, entretiennent entre eux des interrelations que la recherche avait jusque là laissées dans l’ombre. Les travaux du colloque international qui s’est tenu à l’Institut des Etudes Africaines de l’Université Mohammed V-Souissi (Rabat, Maroc) du 25 au 27 novembre 2010, entre autres,  ont levé un pan de voile sur ces interrelations. Ils ont montré combien celles-ci sont multiples, mais aussi complexes,  et nécessitent d’être bien comprises pour parvenir à élaborer des politiques idoines.

Dans cet article, nous avons voulu examiner certaines de ces relations, dans  le cas de l’église kimbanguiste, en nous posant la question de savoir comment la migration, et plus précisément les migrants kimbanguistes,  contribuent à l’expansion de cette église.  Cette question n’a quasiment jamais été abordée. L’expansion de cette église a surtout été expliquée par le contexte socio-historique qui a forgé sa naissance, contexte caractérisé par une des pires formes de colonisation au monde et ayant conduit à l’éveil de la conscience des Congolais pour leur affranchissement, notamment par la désobéissance civile (Nzongola 2003,  Mélice 2009) ; contexte caractérisé aussi par la famine, la sécheresse et les maladies diverses (fièvre typhoïde, grippe) qui sévissaient à cette époque, comme conséquences de la colonisation (Mokoko-Gampiot 2008).  Cela se comprend, car ce sont surtout les historiens, les ethnologues, les anthropologues, les politologues qui se sont investis sur cette thématique, les démographes estimant, à tort, que celle-ci n’entrait pas dans leur champ d’investigation.

La deuxième préoccupation concerne le rôle ô combien important qu’a joué cette église dans la lutte pour la libération contre cette colonisation belge,  et qu’elle continue à jouer dans le domaine économique et social.  Ce rôle  mérite d’être reconnu, bien compris, puis soutenu par les chercheurs.  Les circonstances politiques qui avaient suscité le messianisme kimbanguiste (Asch 1983, Mukoko-Gampiot 2010, Nzongola 2003, Melice 2010) sont telles qu’il ne peut en être autrement. En effet, le kimbanguisme aura été une des premières formes de résistance des populations congolaises contre la toute puissante machine de la colonisation belge (Nzongola 2003, Mélice 2009). Kimbangu aura été « le premier des nôtres qui osa proclamer et prédire la fin de la colonisation », selon les termes utilisés lors de l’hommage lui rendu par les autorités congolaises (cfr Iloankoy, n.d. : 202). A ce titre, l’église kimbanguiste doit effectivement être un cas de conscience collective (Garbin et Pambu 2009 : 109).

Sur le plan économique, l’approche de l’église kimbanguiste, qui consiste à compter d’abord sur ses propres efforts, et qui se concrétise entre autres par le nsinsani, opérations de collecte des fonds nécessaires pour le fonctionnement et la réalisation des infrastructures, doit susciter beaucoup d’admiration et d’intérêt de la part des chercheurs. Elle est un modèle réussi d’auto-développement, d’un développement qui part principalement de la base, des moyens propres. C’est bien ce genre de modèles qu’il faudrait à l’Afrique en général et à la RD Congo en particulier. Dzaka (2003), puis Kamavwako (2011), entre autres auteurs, trouvent que la « ferveur de la religion kimbanguiste », telle que matérialisée par le nsinsani, peut en effet favoriser l’accumulation des capitaux nécessaires pour la création des entreprises, et est donc susceptible de conduire au développement de l’église, voire du pays.

La troisième préoccupation concerne le faible développement de la cité sainte de l’église kimbanguiste, Nkamba. Alors que celle-ci est sur la sellette depuis 1921, qu’elle attire de millions de pèlerins chaque année, y compris différents Chefs de l’Etat congolais qui vont y séjourner pour, semble-t-il, un ressourcement spirituel (Mobutu Sese-Seko et Joseph Kabila en l’occurrence), Nkamba reste une bourgade qui a du mal à susciter son développement et celui de son hinterland, ce qui est tout le contraire d’une ville comme Touba.  Ces deux villes ont pourtant plusieurs similarités : elles ont vu naître leurs prophètes presque au même moment (1853 pour Amadou Bamba et 1887 pour Simon Kimbangu) ; elles sont devenues les berceaux de deux grandes églises presque au même moment (1988 pour Touba et 1921 pour Nkamba) ; leurs prophètes ont connu presque le même parcours politico-religieux ; elles accueillent de millions de pèlerins chaque année ; etc. Pourquoi donc Nkamba peine à se développer alors que Touba compte aujourd’hui plus ou moins un million d’habitants et est devenue la deuxième ville du Sénégal ?

Cet article examine les liens entre les migrations des fidèles kimbanguistes et l’expansion de leur église, en suivant la trame de ces trois préoccupations.  Après avoir montré la difficulté rencontrée et relative à l’absence de données, le premier point donne quelques considérations théoriques et conceptuelles sur les liens entre les migrations et la religion. Dans un deuxième point, qui est central, nous examinons les mécanismes à travers lesquels les migrants kimbanguistes contribuent à l’expansion de leur église. Et dans un troisième point, nous spéculons sur les contraintes qui minimalisent cette contribution.

 

Une absence de données qui limite la portée de l’étude

 

Pour répondre aux préoccupations de recherche formulées ci-dessus, nous devrions disposer de données qui permettent de retracer la biographie du Prophète Simon Kimbangu et l’histoire de l’Eglise Kimbanguiste, d’examiner sa doctrine religieuse, ses structures et son modèle de gestion et de fonctionnement, d’inventorier ses paroisses à travers le monde et d’y interroger les migrants kimbanguistes, de dresser  une carte postale de Nkamba, la Cité Sainte et le Siège de l’Eglise : son histoire ; sa population ; le nombre et les caractéristiques de ses visiteurs ; son budget de fonctionnement ; ses infrastructures routières, scolaires, hospitalières, hôtelières ; etc. D’autres données devraient être recueillies sur les œuvres sociales de l’Eglise Kimbanguiste : les écoles, les hôpitaux, les dispensaires et centres de santé, les coopératives d’épargne, la fanfare, etc.

Ces données secondaires devraient être complétées par des entrevues individuelles auprès des responsables de l’Eglise, y compris son Chef Spirituel,  et des migrants kimbanguistes situés dans les principaux pays d’accueil des migrants kimbanguistes : la Belgique, la France, le Canada, etc. Les interviews auprès des responsables permettraient de recueillir des données sur la contribution de la diaspora kimbanguiste au fonctionnement et au développement local de leur église: les transferts de fonds, les contributions ponctuelles en faveur de tel ou tel autre projet de développement, les visites effectuées à Nkamba, la prise en charge des missions des dignitaires de l’église à l’étranger, etc. Les mêmes questions devraient être posées aux migrants kimbanguistes qui résident ici et là.

On le voit, il s’agit là d’une tâche gigantesque et de longue haleine, qui nécessitent des moyens financiers conséquents et une disponibilité quasi-totale. N’ayant pas disposé de toutes ces données, faute de temps et de moyens pour les collecter, cet article se veut exploratoire et très modeste. Il se limite à susciter l’intérêt pour une étude d’une plus grande envergure que nous nous proposons d’entreprendre autour de ces questions de recherche. Il se base essentiellement sur une analyse documentaire sur l’Eglise Kimbanguiste, mais aussi sur nos connaissances empiriques sur cette église et nos discussions avec certains de ses acteurs, y compris ses responsables au sommet de l’église. Nos visites à Nkamba, par deux fois, et pour d’autres circonstances, nous ont tout de même éclairé tant soit peu sur les réalisations et les ambitions de l’église kimbanguiste. Cette approche événementielle, comme la qualifie Mélice (2006) est appropriée pour des investigations sur l’église kimbanguiste dans la mesure où, dit Mélice, une enquête approfondie est peut-être difficile à réaliser, car pouvant paraître comme un sacrilège. Mais aussi parce que les rassemblements kimbanguistes sont de grandes opportunités pour entendre l’histoire et la doctrine de cette église, pour admirer la ferveur religieuse de ses fidèles, pour admirer ses œuvres sociales. Par ailleurs, notre séjour au Sénégal pour des raisons professionnelles a été une occasion pour avoir une meilleure connaissance de la confrérie mouride, et pour susciter en nous cette problématique du faible développement de Nkamba, et pour envisager cette analyse comparative entre les deux églises et les deux villes saintes, Nkamba et Touba.

 

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Photo 1 : Une délégation des Professeurs,  étudiants et administratifs  de  l’Université Kongo à Nkamba, conduite par son Recteur BMLututala, avec le Chef spirituel de l’Eglise Kimbanguiste, Simon Kimbangu Kiangani, et devant le mausolée du Prophète Simon Kimbangu (en 2004).

 

Migrations et religion : quelques considérations conceptuelles et théoriques

 

Les liens entre la migration et la religion ont fait l’objet, jusqu’ici, de peu de réflexions théoriques et conceptuelles. Et pourtant, ces deux phénomènes s’influencent mutuellement (Lututala 2012). La religion influence la migration sur plusieurs dimensions. Elle entretient d’abord une sorte de relation ontologique entre l’homme et son Dieu. En effet, Dieu, après avoir créé l’homme, l’a instruit de dominer le monde et de jouir de tous les biens qu’il venait de créer sur la terre, sauf « le fruit de l’arbre » (Genèse 1 : 26). C’est toute la relation entre l’homme et son milieu qui est mise en relief ici : tout individu est donc rattaché à un milieu, lequel lui procure de quoi se nourrir, et de quoi accomplir l’œuvre divine. Il demeure sédentaire tant que son milieu lui permet de satisfaire ses besoins ; il quitte ce milieu, c’est-à-dire il migre, dans le cas contraire. Dieu lui-même avait sorti son peuple des lieux où la vie était devenue impossible pour l’amener « où coulent le lait et le miel » (Exode 3 :17). La migration est donc avant tout une composante intrinsèque de tout être humain, entendu comme matière et esprit, comme création de Dieu. (Lututala 2012).

 La religion est par ailleurs un des supports les plus importants de la migration. La théorie des réseaux migratoires est celle qui permet le mieux de le comprendre. Cette théorie postule que les membres d’une famille ou d’une communauté tissent des relations interpersonnelles qui facilitent la migration des uns et des autres; que ces réseaux sont par ailleurs des canaux de transmission des informations sur les opportunités migratoires ; et qu’ils sont comme une institution qui prend en charge les coûts de la migration, notamment en ce qui concerne l’intégration des nouveaux migrants dans leurs nouveaux lieux de résidence. Les membres d’une église sont une des meilleures illustrations du fonctionnement d’un réseau : ils sont une communauté qui a des intérêts communs, en l’occurrence la croyance en Dieu et en la vie de l’au-delà ; et qui souscrit aux mêmes valeurs et obéit aux mêmes préceptes : l’amour du prochain dans toute sa plénitude. Ainsi, en créant de tels réseaux, la religion contribue à diminuer les coûts et les risques de la migration (Zlotnik 2003, dans Mangalu 2011). Elle permet aux fidèles de se soutenir, de sorte que même le fidèle le plus démuni peut entreprendre sa migration. La religion permet aussi de créer voire d’institutionnaliser aux lieux de destination de nouvelles communautés de croyants qui servent de structure d’accueil et de socialisation du migrant.

 Le support qu’apporte la religion ne vient pas seulement du réseau qu’elle permet de créer et d’animer. Il est aussi immatériel, spirituel. En effet, la religion est, comme le dit Lalêye (2012) dans le cas des esclaves africains qui furent arrachés de leur société pour être amenés vers des lieux jusque là inconnus, et dans des conditions d’une inhumanité extrême, le capital immatériel le plus précieux que tout migrant emporte avec lui. Elle donne au migrant la foi et le courage nécessaires pour braver les difficultés et les obstacles liés à l’aventure migratoire. La migration est bien une aventure dans laquelle se plonge le migrant, dans la mesure où il part sans nécessairement avoir une idée précise du lieu où il se rend, des conditions de vie qui l’attendent, et sans qu’il ait parfois les papiers nécessaires pour s’y rendre lorsqu’il s’agit de la migration internationale, et souvent sans avoir les moyens (suffisants) qu’il faut pour se prendre en charge durant le voyage et pour son insertion au lieu de destination.  C’est aussi et surtout le cas des déportés, qui effectuent des migrations forcées, sans le vouloir, et souvent sans savoir où l’on est dirigé.

A son tour, la migration contribue à la pérégrination et à l’expansion des religions et des églises de plusieurs manières. En emportant avec eux leur religion, les migrants participent à sa diffusion ou à son essaimage. Ils y participent tout au long de leurs cheminements migratoires, dans leurs lieux de transit, et dans leurs nouveaux lieux de résidence. En maintenant des contacts avec leurs communautés et pays d’origine, les migrants contribuent à l’expansion de leurs églises-mères, et établissent une sorte de pont entre eux et leur église-mère. Non pas nécessairement par altruisme, ou par intérêt personnel, ou pour un quelconque dédommagement, comme le veut la théorie sur les déterminants des transferts des migrants (cfr Mangalu 2011), mais par devoir religieux.  La littérature fait aussi état de l’existence des migrations religieuses, c’est-à-dire celles effectuées par les imams, les pasteurs, les prêtres pour aller évangéliser, ou pour aller répondre à la demande religieuse exprimée par les migrants installés dans un milieu.

 

De l’expansion de l’église kimbanguiste

 

Nous entendons par expansion i) l’augmentation du nombre de fidèles de l’église kimbanguiste ; ii) l’accroissement de son aire spatiale d’influence ; iii) son ancrage et sa reconnaissance progressifs dans le pays et le monde. Alors qu’à l’origine de cette église on retrouve deux personnalités, Simon Kimbangu puis sa femme Marie Mwilu, l’église kimbanguiste compte aujourd’hui de millions de fidèles (une estimation de 5 millions a été donnée en 1981) et est devenue, rappelons-le, la troisième église en RD Congo, et probablement aussi au Congo et en Angola.  Par ailleurs, si Nkamba dans le Bas-Congo reste le berceau de cette église, au point où elle est considérée comme la « Terre sainte », la « Nouvelle Jerusalem », l’église kimbanguiste se retrouve aujourd’hui dans plusieurs pays d’Afrique (RD Congo, Congo, Angola, Zambie,…), d’Europe (France, Belgique, Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne, Hollande, Suède, Finlande, Portugal, Espagne (Mokoko-Gampiot 2008), mais aussi d’Amérique (Canada, Etats-Unis).  Au total, l’église kimbanguiste serait présente dans 38 pays au monde, selon les responsables de cette église.

Les statistiques publiées par Asch (1983) donnent une idée sur l’expansion démographique, et spatiale de l’église kimbanguiste. Quoique de qualité douteuse et qu’elles sous-estiment probablement la réalité, il ressort de ces statistiques que les effectifs des fidèles kimbanguistes n’ont pas cessé de croitre. A Kinshasa, par exemple, ils seraient passés de 14 050 en 1970 à 21 403 en 1975. La même tendance à la hausse est observée dans les autres provinces, à quelques exceptions près : augmentation de 27 613 en 1973 à 29 779 en 1974 dans le Bandundu ; de 21 833 en 1971 à 31 161 en 1975 au Katanga ; etc. Lors du défilé organisé à Luanda (Angola) à l’occasion des 90 ans de l’église kimbanguiste, l’on a estimé à plus ou moins 13 000 le nombre de fidèles kimbanguistes qui ont pris part à ce défilé.  En France, il y aurait eu 2000 fidèles kimbanguistes au début des années 80 (Mokoko-Gampiot, 2003 ; Chenu 2003).   En Grande-Bretagne, il est signalé que cette religion attire beaucoup de fidèles dès le début de l’année 2000, et qu’une augmentation importante de la diaspora kimbanguiste est observée à partir des années 2000 (Mokoko-Gampiot 2003).

Sur le plan juridique, trois dates importantes sont à retenir par rapport à la croissance et à l’expansion de cette église. La première est celle de sa reconnaissance officielle par l’administration coloniale belge, qui intervint le 24 décembre 1959, soit 48 ans après la condamnation de Simon Kimbangu et sa déportation au Katanga. La deuxième date est celle de l’admission de l’église kimbanguiste  au Conseil Œcuménique des Eglises (COE) qui intervint le 16 août 1969, soit dix ans après sa reconnaissance officielle. Nous pensons, avec Asch (1983), qu’il faille signaler une troisième date, celle du 31 décembre 1971, date de la promulgation de la loi n° 71-012 qui, dans le cadre de la philosophie politique du recours à l’authenticité imposée par le Président Mobutu, réglementait l’exercice des cultes et ne reconnaissait que trois grandes églises en RD Congo : l’Eglise catholique, l’Eglise du Christ au Congo et l’Eglise kimbanguiste. Cette loi faisait donc de l’église kimbanguiste la troisième église officiellement reconnue en en RD Congo.

Asch (1983) considère cette reconnaissance comme étant l’aboutissement, ou le résultat de « l’alliance de convenance » qui s’était établie entre l’Eglise du Christ au Congo et l’Eglise kimbanguiste d’une part, et avec Mobutu d’autre part. En effet, la philosophie du recours à l’authenticité avait donné lieu à une épreuve de forces entre l’Eglise catholique et le Président Mobutu, notamment du fait de la «débaptisation », c’est-à-dire de l’abandon des prénoms chrétiens au profit des postnoms authentiquement congolais. Cependant, cette philosophie semblait s’accorder avec l’authenticité de l’église kimbanguiste, dans son fondement (fondée par un Congolais), dans certaines de ces pratiques (nsinsani par exemple), et dans son apolitisme, devenu un des préceptes fondamentaux de cette église. En effet, outre les dix commandements de la Bible hérités de Moïse, l’église kimbanguiste instruit tout adepte d’être soumis aux autorités politiques, « car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu » (Asch 1983 :112). Il faut d’ailleurs préciser que l’apolitisme de l’église kimbanguiste a d’abord été imposé i) par les colonisateurs comme étant une des conditions pour avoir la reconnaissance officielle en 1959, et ii) par le Président Mobutu pour que cette église puisse bénéficier de son soutien (Asch 1983). 

 

L’expansion de l’église kimbanguiste par les déportations

 

Simon Kimbangu n’a pas été seul à être déporté. Suite à une chasse à l’homme pour dénicher tous les adeptes du prophète, et les mettre hors d’état de nuire (à la colonisation), les services officiels de l’Eglise kimbanguiste estiment que 37 000 familles, soit plus ou moins 150 000 personnes, furent déportées dans d’autres provinces du pays. Cette migration forcée ne s’est pas faite dans des conditions convenables, loin de là.  Les mêmes sources kimbanguistes estiment que 2 000 familles seulement auraient survécu aux dures épreuves de faim, de fouet, d’absence de soins aux prisonniers malades, etc. (Nduku-Feso 2004 ; Iloankoy n.d.:73).

Il est important de saisir toute la signification politique de ces déportations, tant elles étaient considérées par l’administration coloniale comme étant la seule solution pour en finir avec les velléités des prophètes (Ngandu Nkashama 1990 :113).  Il ne s’agit donc pas, comme c’est le cas des migrations dites volontaires, d’un phénomène que les décideurs politiques devaient subir, et contenir ou gérer, mais plutôt d’un mouvement qu’ils provoquaient pour résoudre un problème politique. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique cas où les migrations forcées jouent ce rôle. Certains pays favorisent ou soutiennent l’émigration des populations qui sont hostiles au pouvoir en place (De Haas, 2005), laquelle doit alors être considérée comme une migration forcée.

La déportation de Simon Kimbangu et de ses collaborateurs a  eu un effet boomerang : elle avait favorisé ce que les colonisateurs voulaient justement étouffer : l’expansion de l’église kimbanguiste (Nzongola 2003 : 50). En effet, et comme nous l’avons déjà dit à propos des esclaves africains déportés vers d’autres continents, les déportés kimbanguistes sont partis avec leur religion, celle-ci étant le bagage immatériel le plus précieux qu’ils pouvaient emporter (Lalêye 2012). Leur religion, ou plutôt leur foi en Dieu, leur a permis de supporter les dures épreuves et brimades leur infligées par les colonisateurs, suivant sans doute l’exemple de leur prophète, Simon Kimbangu, qui croupissait en prison à Lubumbashi, ou dont on disait qu’il était mort des suites des brimades lui infligées.  

A son tour, le fait d’avoir résisté à toutes les brimades et privations, et d’avoir survécu a ravivé la foi des déportés survivants, leur croyance en la puissance de Simon Kimbangu, en la grandeur et l’omniscience de Dieu. Cette foi a d’ailleurs été entretenue discrètement par maman Marie Mwilu, l’épouse du prophète Kimbangu, qui a même eu à envoyer dans certains centres de détention des déportés des émissaires pour leur communiquer certains préceptes. Pour échapper à la censure des gardiens, des codes et même un alphabet spécial étaient utilisés par les déportés pour communiquer entre eux (Asch 1983). Le résultat est connu : l’ensemble du territoire congolais a été touché par le kimbanguisme, parce que les lieux de détention des déportés se trouvaient justement dans toutes les provinces de la RD Congo : Boma dans le Bas-Congo ;  Kutu, Kiri, Oshwe et Belingo dans le Bandundu ; Befale, Lisala et Gemena dans l’Equateur ; Buta, Niangara, Paulis, Bafwansende et Ponthierville dans la Province Orientale ; Lubutu, Punia et Kasongo dans le Kivu ; Lubumbashi, Kasaji et Sendwe dans le Katanga ; Lomela et Lodja dans les Kasaï (Asch 1983 :136-137). 

Les déportations kimbanguistes doivent être considérées comme un mécanisme qui a contribué au déclenchement des migrations modernes en RD Congo, en plus des autres mécanismes que nous avions mentionnés ailleurs : le portage, les recrutements forcés, le travail migrant, l’impôt obligatoire, le regroupement familial, etc (Lututala 1995). Elles ont permis aux populations congolaises de l’époque de pouvoir sortir de leurs lieux de naissance et de découvrir d’autres contrées du pays, même si c’est par la force. En effet, à cette époque, les populations vivaient cloisonnées, enfermées dans leurs villages ou chefferies ; tout déplacement en dehors de ceux-ci devait être autorisé par l’administration coloniale,  à travers la délivrance d’un passeport de mutation.  Jusqu’aujourd’hui, les migrations internes en RD Congo se font principalement à l’intérieur des provinces ou entre provinces voisines ; il y a donc peu d’échanges migratoires et des biens et services entre populations congolaises vivant dans des provinces éloignées les unes les autres. Les données du recensement de la population de 1984, le seul que la RD Congo ait organisé depuis son accession à l’indépendance, montrent par exemple que la majorité de migrants observés au Bas-Congo en 1984 provenaient du Bandundu, et ceux observés au Bandundu provenaient principalement du Bas-Congo. Dans ces deux provinces, il n’y avait quasiment pas de migrants en provenance des provinces telles que la Province Orientale, ou celle du Kivu, etc.  La présence des ressortissants en provenance des provinces du Kasaï, plus éloignées du Bandundu, a provoqué un mouvement  de xénophobie de la part des autochtones du Bas-Congo, mouvement entretenu par cet autre mouvement politico-religieux des temps modernes « Bundu dia Kongo ».

Les déportations kimbanguistes auront par ailleurs été un prélude au nationalisme congolais, ce grand chantier toujours inachevé qui s’emploie à forger l’unité nationale en RD Congo, à développer le sentiment d’appartenance à un même territoire, à une même nation (Biaya 1992 : 4). Pendant les 32 ans de la dictature de Mobutu, les affectations des cadres politico-administratives ont été faites dans le même souci de forger l’unité nationale et, bien sûr, l’implantation du Mouvement Populaire de la Révolution. Ainsi, par exemple, les gouverneurs des provinces étaient presque toujours des ressortissants d’autres provinces : Konde Vila ki Kanda du Bas-Congo fut nommé Gouverneur au Kivu, Nzuzi wa Mbombo du Kasaï le fut  au Bas-Congo, etc. Le fait que 37 000 familles, pour reprendre les données officielles de l’Eglise kimbanguiste, aient été déportées loin de la province du Bas-Congo, doit donc être considéré comme un phénomène important qui aura forgé le brassage des populations, l’unité nationale à cette époque coloniale.  Dans une recherche ultérieure à mener,  il serait intéressant d’examiner, à partir des entretiens individuels,  comment ces déportés kimbanguistes se sont-ils insérés dans les structures sociales, économiques et politiques des milieux d’accueil; comment ils ont eu accès à la terre pour pouvoir s’adonner à l’agriculture, et comment se sont opérés les brassages entre eux et les populations autochtones qui les ont accueillis, notamment à travers les mariages interethniques et la procréation d’enfants.

 

Migrations des fidèles et expansion de l’église kimbanguistes

 

Le fait de migrer, c’est-à-dire de sortir de son milieu de naissance ou d’origine,  permet au migrant d’étendre la zone d’influence de son église, la visibilité de celle-ci, son rayonnement, et même ses sources de financement. Par la pratique de sa foi dans son lieu d’immigration, le croyant est, en quelque sorte, ce que André Mary (2011) appelle un « migrant-missionnaire », dans le sens où il se voit confier, explicitement ou implicitement, une mission d’évangélisation, d’abord en affichant publiquement sa foi, ensuite en diffusant auprès des autres migrants ou des populations d’accueil les enseignements de son église.  Par ailleurs, en vertu  de la théorie des réseaux que nous évoquions ci-haut, le migrant qui s’installe dans un lieu devient en quelque sorte une ambassade pour les autres migrants. A travers les contacts qu’il maintient avec ses frères et sœurs dans la foi qui sont restés au lieu d’origine, le migrant peut pousser d’autres fidèles kimbanguistes à tenter eux aussi l’aventure migratoire. Enfin il y a la contribution du migrant à la vie et au rayonnement de son église au lieu d’origine, mais aussi d’accueil. Cette contribution peut se faire par l’envoi des fonds et des biens, mais aussi par les visites et la participation aux grandes cérémonies organisées par l’église.    

Tous ces éléments s’appliquent aux migrants kimbanguistes. En effet, d’après Mokoko-Gampiot (2010), le migrant kimbanguiste se distingue des autres migrants par 1) l’encouragement spirituel à ses projets migratoires ; 2) le fait de considérer l’émigration comme une mission ou une justification de la foi ; 3) l’immigration comme creuset de reconstitution de l’identité nationale, ethnique et culturelle ; 5) l’église comme lieu communautaire des migrants ; 6) l’église comme lieu de « résistance à l’indifférence voire à l’hostilité de la société d’accueil ». 

 

De l’armement spirituel des migrants

 

Chez les fidèles kimbanguistes, le projet migratoire « est réalisé et encouragé par les fondements théologiques kimbanguistes » (Mokoko-Gampiot, 2010 : 35). En effet, Simon Kimbangu avait lui-même migré à Kinshasa en 1919. Pour certains auteurs, il l’avait fait pour fuir l’appel que Dieu lui avait lancé en 1918 de s’occuper de la population de sa circonscription qui était victime de sécheresse, de famine et d’épidémies de variole, fièvre typhoïde et grippe ; tandis que pour d’autres il était parti pour, comme la majorité des migrants, chercher un travail plus rémunérateur (cfr Asch 1983 : 20). Par ailleurs, il semble que Simon Kimbangu aurait lui-même prédit que les jeunes grimperaient les montagnes, c’est-à-dire franchiraient les frontières pour aller propager la bonne nouvelle de Dieu : « le Kimbanguiste dans sa foi traditionnelle se sent encouragé spirituellement dans son projet migratoire qui est avant tout individuel et pour n’importe quelle destination du monde » (Mukoko-Gampiot, 2010 : 34).  Le fait que Simon Kimbangu ait migré à Kinshasa a certainement fait entrer la migration dans l’imaginaire et les valeurs des fidèles kimbanguistes, étant entendu que cette église puise ses fondements théologiques dans les actes et paroles du prophète Simon Kimbangu. Migrer doit donc être pout tout kimbanguiste plus qu’un acte normal propre aux communs des mortels : il est un acte spirituel, béni par Dieu et soutenu par sa foi en Dieu. Mais pourquoi cet encouragement et cet appui de l’église kimbanguiste à la migration de ses fidèles ? Deux raisons sont avancées dans la littérature : la poursuite des études, et la propagation de la bonne nouvelle de Dieu (ibidem).     

 

Emigrer pour poursuivre les études ou pour d’autres motifs

 

Nous avons déjà montré l’importance que l’Eglise kimbanguiste accorde à l’instruction en général et celle de ses fidèles en particulier. Avant de commencer sa mission, Simon Kimbangu avait reçu une instruction à la mission de Ngombe-Lutete, laquelle instruction lui permit de savoir lire la Bible en kikongo, sa langue maternelle. Mais une autre raison justifie cet intérêt de l’église vis-à-vis de l’instruction. En effet, suite au fait que les églises catholiques et protestantes connurent de grandes désertions de fidèles au profit de l’église kimbanguiste au tout début de l’œuvre de Simon Kimbangu, les enfants kimbanguistes ou des parents kimbanguistes furent chassés  des écoles catholiques et protestantes.  Ceci obligera l’église kimbanguiste à mettre en place son propre système scolaire. Nous en avons montré les résultats atteints ci-haut.

C’est au milieu des années 70 que les migrants kimbanguistes auraient commencé à affluer en Europe, plus précisément en France. Les premières cohortes de ces migrants étaient constituées d’étudiants boursiers qui étaient envoyés pour poursuivre leurs études universitaires (Mokoko-Gampiot 2010). Ces premières motivations de la migration corroborent l’importance accordée par l’église à l’instruction. Le fait d’accorder des bourses aux jeunes étudiants kimbanguistes témoigne du souci de doter cette église de cadres de haut niveau, sans doute appelés à s’impliquer dans la vivification intellectuelle et philosophico-théologique de leur église.

Cependant, on peut penser qu’un grand nombre de ces étudiants kimbanguistes, comme c’est le cas des étudiants africains en général, ne sont pas rentrés dans leurs pays d’origine qui sont principalement la RD Congo, le Congo et l’Angola. En s’installant en Europe, sans pour autant s’y intégrer socialement et politiquement (Mokoko-Gampiot 2008), les anciens étudiants kimbanguistes ont donc constitué le noyau autour duquel s’est développée la diaspora kimbanguiste, d’abord par le regroupement familial et la naissance des enfants issus des couples, ensuite par l’accueil d’autres migrants qui les ont rejoints progressivement, et enfin par le redéploiement de ces migrants vers d’autres pays du Nord. Même si les études spécifiques n’ont pas encore été menées sur cette question, on sait que plusieurs migrants congolais – et les migrants kimbanguistes ne feraient pas exception – ont quitté les pays de première destination en Europe pour se redéployer vers d’autres pays, et pour des raisons liées à la sécurité politique et la possibilité de trouver des emplois ou des emplois plus rémunérateurs.  Par exemple, beaucoup ont quitté la France ou la Belgique pour aller s’installer au Canada.

 

Emigrer pour remplir la mission d’évangélisation ou pour justifier sa foi

 

L’église kimbanguiste est née et a évolué dans un contexte d’hostilité, d’intolérance, ou peut-être simplement d’incompréhension de la part non seulement de l’Etat colonial ou de l’Etat indépendant, mais aussi des églises catholiques et protestants. Lorsqu’on passe en revue la littérature, on se rend compte que dès le début de son œuvre, Simon Kimbangu n’était pas compris par les colonisateurs. Et cela transparaît clairement lors de son jugement à Mbanza-Ngungu le 3 octobre 1921. Alors que le Juge-Président De Rossi retenait à sa charge l’organisation d’un soulèvement contre le gouvernement colonial, le fait d’avoir qualifié les Blancs « d’ennemis abominables », d’avoir incité les gens à quitter le travail et à ne plus payer l’impôt, de s’être procuré des armes, Simon Kimbangu répondait que rien de tout cela n’était vrai, qu’il s’était borné à prêcher l’évangile de Jésus-Christ, que les gens affluaient vers lui «de leur propre gré, soit pour écouter la parole de Dieu, soit pour chercher la guérison ou pour obtenir la bénédiction » (Iloankoy, n.d. : 57).    

Dans un tel contexte d’incompréhension voire d’hostilité, tout fidèle, qui qu’il soit et où qu’il se trouve,  se voit ou se sent confié une triple mission : mission de justification de l’œuvre, celle de contribution à l’œuvre et celle de soutien-entraide mutuel entre frères et sœurs de l’église. La mission de justification ou d’explication a porté ses fruits. D’abord par la reconnaissance de l’église par la colonisation en 1959, soit 38 ans après la naissance de cette église ; puis par le Conseil Oeucuménique des Eglises en 1969, et enfin par la révision du jugement de Simon Kimbangu par l’Etat congolais en 2010. Elle a été et est encore menée partout, et particulièrement auprès de ceux-là même qui sont  venus coloniser la RD Congo et condamner Simon Kimbangu à la peine de mort. La diaspora kimbanguiste s’y serait fortement investie. Le processus de l’admission de Simon Kimbangu, le 30 juin 2010 comme « Grand Cordon de l’Ordre National des Héros Nationaux », puis récemment (le 22 juillet 2011), celui de la correction des « erreurs judiciaires » commises par la Haute Cour Militaire qui l’avait condamné à perpétuité, aurait été par cette diaspora kimbanguiste (Melice 2008).

 

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Photo 2 : La délégation des Professeurs,  étudiants et administratifs de  l’Université Kongo

à Nkamba, conduite par son Recteur BMLututala, pendant le culte

dans le Temple et au-devant de la scène (en 2004).

 

La deuxième mission est celle de participer à l’œuvre entamée par Simon Kimbangu, relayée par sa femme Marie Mwilu, propagée par les déportés aux différents coins du pays, et pris en charge par la suite par le fils cadet du prophète, Diangienda Kuntima. Une participation spirituelle et matérielle. Pour les migrants, la participation spirituelle consistait à continuer à pratiquer voir à raffermir leur foi dans leurs différents lieux de résidence. Ceux qui se trouvaient en Europe créèrent le Cercle International Kimbanguiste (CIK), reconnu en France en 1981 par la loi 1901, pour servir de lieu de prière, de discussion biblique, d’échanges entre étudiants kimbanguistes en Europe, et d’organe de liaison entre ces derniers et l’Eglise-mère en RD Congo (Mokoko-Gampiot 2002).  La diaspora kimbanguiste en Belgique a réussi à son tour l’obtention du statut d’ASBL pour leur église en 2004 (Mélice 2006), toujours dans le souci de mieux pratiquer leur foi.

La participation spirituelle à l’œuvre missionnaire se situe plus haut encore : sensibiliser, à défaut de les convertir, les populations d’accueil, mais aussi les autres migrants africains non-kimbanguistes, comme on peut le voir à travers les concerts donnés en plein air à Paris ou à Bruxelles, les reportages des cultes qui sont postés sur Internet, tout comme les chansons de la fanfare kimbanguiste (FAKI), les vidéos des grands évènements religieux célébrés à Nkamba ou ailleurs, qui y sont aussi postés. Yosua, un fidèle kimbanguiste interrogé par Garbin et Pambu (2009), parle de son père qui fut envoyé comme Pasteur kimbanguiste en Belgique, et qui a ouvert par la suite des paroisses en France, Allemagne, Hollande.

En ce qui concerne le soutien et l’entraide mutuelle, comme mission confiée aux fidèles kimbanguistes, les travaux de Chenu (2003) et de Mokoko-Gampiot (2010) en France, ainsi que ceux de Melice (2006) en Belgique nous permettent de comprendre tant soit peu comment cette mission est exercée par la diaspora kimbanguiste. Ces deux auteurs signalent que les migrants kimbanguistes ont d’abord fait de leur église une communauté, une seconde famille qui permet de « résister à l’indifférence ou même à l’hostilité de la société d’accueil » (Chenu 2003).  Ceci insinue que les fidèles kimbanguistes, comme tous les autres migrants ou peut-être davantage, ont dû faire face à des difficultés pour être acceptés dans les nouveaux milieux d’accueil. Cette situation n’est pas propre à l’église kimbanguiste, d’autres églises d’origine africaines qui se sont implantées dans les pays du Nord ont connu elles aussi cette hostilité de la part des églises autochtones. Mc Calloum (2012) le montre bien dans le cas de la Grande-Bretagne.

L’église, pour les migrants kimbanguistes, est cet espace et cette instance où s’expriment l’entraide et la solidarité sous toutes ses formes : l’accueil des nouveaux migrants, l’assistance leur apporté pour s’insérer socialement et professionnellement, l’assistance multiforme des uns vis-à-vis des autres aux moments des évènements tels que les mariages, les décès, les naissances, etc.  Yosua, un fidèle kimbanguiste interrogé par  Garbin et Pambu (2009), raconte :

“When you come from the Congo or Angola, you have a place where you can meet people. The other aspect is the spiritual aspect. Spirituality can make you stronger through daily struggles a migrant faces. Being part of a community can also make you stronger”(interview de Yosua de Londres, dans Garbin et Pambu (2009)

Dans son ouvrage, Ngandu Mutombo (2009 : 9-31) rapporte le témoignage d’une femme kimbanguiste sur les raisons qui les ont poussés, elle et son mari, à quitter une ancienne église pour adhérer à l’église kimbanguiste, et surtout sur les avantages qu’elle a tirés de son adhésion à l’Association des Femmes Kimbanguistes (AFKI) à Lubumbashi, notamment en ce qui concerne l’entraide, la revalorisation, pour ainsi dire, de la femme, l’éducation à donner aux enfants, le comportement dans le foyer, etc.

L’église kimbanguiste est aussi, pour les migrants kimbanguistes, le lieu où ils « se reconstituent dans leur identité nationale, ethnique et culturelle » (Mokoko-Gampiot 2010),  ou «s’adaptent à la nouvelle situation sans perdre le rêve de grandeur africain » (Chenu 2003).  La question identitaire est fondamentale pour l’église kimbanguiste. De par son combat de réhabiliter l’homme noir, et pas seulement le peuple congolais, l’église kimbanguiste tient à son attachement aux valeurs culturelles et identitaires des Congolais, des Africains et des peuples noirs en général.  Ainsi s’expliquerait d’ailleurs son accointance avec le mouvement du recours à  l’authenticité prônée par Mobutu durant son règne. Ainsi s’expliquerait aussi l’accueil favorable réservée par cette église par les Américains des Etats-Unis ou du Brésil de race noire.

 

Participer au fonctionnement et à l’expansion de l’église-mère

 

Dans la littérature sur les migrations, la plus grande contribution des migrants à la vie, voire la survie des membres de famille qu’ils laissent au pays, ou de leur pays en général,  se fait à travers les fonds et les biens qu’ils y transfèrent. De nombreux travaux ont déjà montré que les migrants congolais n’y dérogent pas : ils effectuent d’importants transferts de fonds, quelques centaines de dollars américains chaque mois en moyenne (Mangalu 2011). Beaucoup envoient aussi des véhicules qui assurent le transport en commun dans les villes de la RD Congo, plus particulièrement à Kinshasa où il n’existe plus de société étatique de transport en commun depuis plusieurs années. Depuis un certain temps, les migrants congolais s’investissent également dans la construction de flat-hotels ou des guest-houses.  Dans quelle mesure les migrants kimbanguistes contribuent-ils au fonctionnement de leur église-mère au pays et à son expansion ?

D’après certains témoignages, la diaspora kimbanguiste contribue à tous les grands évènements qui se déroulent au sein de l’église-mère à Kinshasa. Elle aurait contribué significativement aux travaux de construction du Temple de Nkamba et à d’autres travaux de construction ou de réhabilitation qui sont effectués.  Cette contribution se fait en espèces mais aussi en nature : tôles, ciment, carreaux, etc. Nous aurions voulu estimer la valeur monétaire de cette contribution financière pour mieux l’apprécier, mais nous n’avons pas pu avoir les données nécessaires.

Qu’à cela ne tienne, il semble que cette contribution se situe en deça de celle des fidèles d’autres églises.  En effet, et pour ne prendre que cet exemple, Touba, la ville-sainte de la confrérie mouride a connu un développement spectaculaire au cours des vingt dernières années, jusqu’à devenir la deuxième ville du Sénégal après Dakar la capitale. Sa population est évaluée à un peu plus d’un million d’habitants en 2009, alors qu’elle n’était que de 2 124 en 1958 et de 125 127 habitants en 1988 (Mamadou Diouf 2009). Quant à sa superficie bâtie, elle serait passée de 575 ha en 1970 à 12 000 ha en 1997.  Touba et Nkamba ont pourtant des similarités intéressantes, que nous indiquions plus haut.  Mais les similarités s’arrêtent là, et de profondes différences apparaissent lorsqu’on considère le dynamisme démographique et économique de ces deux villes.   Ceci nous ramène à une des questions de départ : pourquoi Nkamba connait-elle une expansion plutôt timide ?

 

Kimbanguistes et Mourides : deux niveaux d’implication différents dans l’expansion de leurs églises respectives

 

La fréquence et le volume des transferts de fonds et de biens par les migrants,  et leur implication économique et sociale dans le pays d’origine,  dépendent de certains facteurs, notamment leurs caractéristiques individuelles et familiales et du contexte macroéconomique du pays d’origine. Ces mêmes facteurs devraient déterminer le niveau d’implication ou de la faible implication des fidèles kimbanguistes au fonctionnement et à l’expansion de leur église au pays d’origine.

 

Un faible niveau d’intégration socioéconomique des migrants kimbanguistes dans les pays d’accueil

 

Parmi les caractéristiques individuelles, on peut noter le degré d’intégration du migrant dans son nouveau milieu d’accueil. Un migrant qui a les « papiers » requis pour résider, a un bon emploi et un salaire adéquat,  est plus à même d’envoyer des fonds et des biens aux membres de famille restés au pays d’origine, que celui dont le statut de résidence est précaire, et qui n’a ni un bon emploi, ni un revenu substantiel (Lututala et Mangalu, 2012).

La doctrine du mouridisme repose sur deux éléments : le travail et la vénération de Dieu. Cheikh  Amadu Bamba, le fondateur du mouridisme, enseignait à ses adeptes que le travail est rédempteur : « l’homme est le vicaire de Dieu sur terre et le travail fait partie de la prière » (Cheikh Tidiane Sy, n.d.). A l’époque, les mourides s’adonnaient beaucoup au travail agricole. Mais lorsque survint la grande sécheresse dans le Sahel, le travail agricole ne pouvait plus procurer aux fidèles, et à la population sénégalaise en général, de quoi se nourrir. C’est alors que beaucoup d’entre eux optèrent pour le commerce. Il en a résulté la nécessité d’explorer les nouveaux horizons et donc les nouveaux marchés, en vue de maximiser les bénéfices. Et ce fut d’abord l’exode rural, la ruée vers les villes, avec le résultat que l’on observe aujourd’hui : la plupart des talibê qui foisonnent dans les rues et marchés des villes sénégalaises sont des mourides.  A son tour, la crise urbaine au Sénégal, comme c’est le cas dans d’autres villes africaines, ne pouvait plus permettre aux commerçants mourides de bien fructifier leurs commerces, ces derniers se déployèrent alors et continuent à se déployer vers d’autres pays. Aujourd’hui, on les voit, nombreux, dans presque toutes les grandes villes africaines et d’ailleurs : Johannesbourg, Libreville, Kinshasa, Brazzaville, Paris, Londres, New York, etc. Ce qui a favorisé l’expansion du mouridisme.

La forte présence des mourides dans le secteur du commerce au Sénégal et à travers le monde est aussi favorisée par la solidarité qui les caractérise.  En effet, chez les mourides, la solidarité n’est pas un vain mot : les autres frères mourides sont plus qu’une seconde famille. Ils s’épaulent pour permettre à chacun de se faire une place dans la société. Par exemple, ceux qui manquent le capital financier nécessaire pour se lancer dans les affaires peuvent bénéficier des prêts, voire des dons,  que leur octroient les autres frères. Il en est de même, de ceux dont les affaires ne tournent pas bien qui bénéficient de conseils de la part des autres frères, de ceux qui manquent d’argent pour s’acheter un billet d’avion en vue d’aller exercer leur commerce dans les autres pays.  Il semble aussi que des réseaux très puissants se sont constitués pour faciliter l’émigration, l’obtention des visas, l’insertion socioéconomique (notamment le logement), et pour secourir tous ceux qui auraient l’une ou l’autre difficulté, y compris avec la justice, dans leurs nouveaux milieux d’accueil.

En définitive, l’obsession des mourides pour le travail, et en particulier le commerce, leur permet d’accumuler des fonds relativement importants. Il n’est donc pas surprenant qu’ils effectuent des transferts monétaires et réalisent des investissements importants dans leur pays d’origine et à la Cité sainte de Touba. Une récente étude a montré que 2,5 milliards de francs CFA sont envoyés chaque mois par les migrants mourides à la veille et pour la tenue du Maagal (Lo 2011). Disons en passant que Touba accueille 3 millions de pèlerins chaque année pour les festivités du Maagal (ibidem). Et que les membres de cette église, comme l’église elle-même, réalisent des bénéfices faramineux pendant les 48 heures que dure le Maagal.

Nous ne pensons pas que les migrants kimbanguistes soient capables de brasser et de transférer de tels montants, pour deux raisons. La première est qu’ils seraient certainement moins nombreux que les 700 000 migrants mourides à travers le monde selon l’estimation faite en 2011 (Lo 2011). La deuxième raison est que les migrants kimbanguistes seraient moins portés vers des activités lucratives dont le commerce, ils migrent plutôt pour d’autres raisons : études, regroupement familial, évangélisation, « se débrouiller ». Ces motifs déterminent le degré de leur intégration dans les milieux d’accueil, la nature des emplois qu’ils y exercent (généralement des emplois précaires comme le gardiennage,…),   et la faiblesse des moyens financiers dont ils disposeraient pour pouvoir transférer une partie pour soutenir l’œuvre de l’église en général et la construction de Nkamba en particulier. Cela reste vrai même si les kimbanguistes, comme les mourides, glorifient le travail : « bolingo, mibeko, misala » sont les trois grandes recommandations qui sont faites aux fidèles kimbanguistes. Cela reste encore plus vrai quand on examine la prise de position chez les kimbanguistes en ce qui concerne l’accumulation des richesses. Lwemba lu Masanga (2010) écrit dans son petit livre que Simon Kimbangu n’avait pas prêché autour de la prospérité matérielle.  Par ailleurs, parmi les conditions que l’église kimbanguiste devrait remplir pour être reconnue par le pouvoir colonial, figure l’interdiction de s’enrichir : « la recherche de la richesse doit être exclue » (Asch 1983 :106).  L’engouement vers l’enrichissement serait donc moindre chez les kimbanguistes comparativement aux mourides. Il faut d’ailleurs noter que le commerce chez les kimbanguistes est interdite le jour de dimanche ; or c’est ce jour que les grands évènements religieux se déroulent, à Nkamba et ailleurs, ce qui prive l’église, ses fidèles et les autres commerçant d’une occasion en or pour se faire de revenus énormes.

 

Une faible propension à retourner au pays d’origine

 

Mokoko-Gampiot (2002) a observé une faible propension des migrants kimbanguistes à retourner dans leur pays d’origine. Il parle d’une « dimension mystico-utopique du retour », à savoir que ces migrants attendent d’abord d’être délivrés de leur situation de précarité et de faible reconnaissance avant de songer à rentrer. Selon la théorie migratoire, une telle ambivalence ne favorise pas les transferts de fonds au lieu d’origine.  En effet, ces transferts ont aussi pour but de « sécuriser », pour ainsi dire, sa place au sein de la famille ou de la communauté de l’église, de continuer à montrer qu’on est présent tout en étant absent, de réunir les conditions matérielles pour une réinsertion réussie. Nous appelons cela dans nos travaux l’ubiquité résidentielle. Les migrants qui s’installent dans les milieux et pays de destination sont moins enclins à transférer des fonds et des biens dans leurs pays d’origine, et dans le cas d’espèce, auprès de leur église-mère au pays. 

 

Un attachement à la famille plutôt faible

 

La situation économique de la famille, les liens avec les autres membres de famille qui sont restés au pays, jouent sur la propension à transférer des fonds. Limitons-nous aux liens que la famille (ici l’église-mère au pays) entretient avec ses migrants.  Dans le cas des mourides, ses liens sont forts et constants.  Ils sont renouvelés à l’occasion des fêtes religieuses telles que le Maagal. En effet, les mourides ont des réseaux très puissants d’entraide et de solidarité, comme on l’a montré ci-haut. Dans un tel contexte, le migrant développe un sentiment de « redevabilité » vis-à-vis de son église, à laquelle il reste très attaché. En conséquence, tout mouride, où qu’il se trouve, reste fortement rattaché à Touba.  C’est là qu’il vient constamment, de préférence chaque année à l’occasion du Magaal, puiser ou revivifier sa spiritualité. Celle-ci est aussi revivifiée, estime-t-on, à travers les œuvres de bienfaisance que l’on réalise à Touba même en étant éloigné d’elle, les maisons somptueuses que l’on y construit et où on ne réside parfois que le temps que dure le Maagal, les dons qu’on envoie ou apporte au Chef religieux, le Marabout, à l’une ou l’autre occasion.

Les données nous manquent pour mesurer le degré des liens que les migrants kimbanguistes entretiennent avec leur église-mère. Mais nous sommes certains que  cette présence est moins effective que ce n’est le cas avec les mourides vis-à-vis de Touba. On pourrait en effet se demander combien de migrants kimbanguistes ont construit des maisons et se sont établis à Nkamba, comme les mourides l’ont fait à Touba (15 000 familles d’émigrés se sont établis à Touba, selon Lo (2011)); combien ont des activités commerciales, combien viennent participer aux grandes cérémonies religieuses qui se déroulent à Nkamba, ou combien y participent par des envois des fonds et des biens.   

 

Un environnement politique et économique congolais peu stimulant voire hostile

 

La sécurisation des fonds qui sont transférés, les possibilités de réaliser des investissements économiques et sociaux, les facilités pour effectuer des voyages dans le pays, et de rester en contact avec les partenaires et les membres de famille, sont autant d’éléments qui favorisent l’implication des migrants dans leur pays, leurs familles et, dans le cas d’espèce, leur église-mère. Il en est de même de l’implication de l’Etat dans le rayonnement de l’église.

Dans le cas de la RD Congo, on sait que l’environnement politique et économique ne favorise pas du tout ce genre d’actions. Pendant les 32 ans de la dictature de Mobutu, l’environnement politique était tel que les libertés d’entreprendre, d’effectuer des séjours au Congo, de rester en contact avec sa famille, étaient fortement restreintes et surveillées. De même, les initiatives économiques étaient étouffées pour éviter l’émergence de puissants empires économiques et financiers et d’hommes d’affaires   qui osaient bâtir de tels empires.   L’épisode de Dokolo, dont la Banque de Kinshasa a été contrainte à une implosion, puis à une faillite forcée, en dit long.  Aujourd’hui, Nkamba n’est toujours pas électrifiée, et la route qui y mène n’a jamais été macadamisée, ce qui cause du reste de nombreux accidents et morts surtout en saison de pluies. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que les migrants kimbanguistes, comme les autres migrants congolais, hésitent voire se méfient pour effectuer des transferts des fonds et des biens, pour investir dans leurs pays, et pour mener des actions à caractère social au sein de leur église.

Ceci n’est pas le cas du Sénégal, qui a toujours accordé d’innombrables facilités aux migrants pour s’impliquer dans la vie sociale, économique, voire politique de leur pays. Déjà au début des années 90, le Sénégal avait institué le BAOS (Bureau d’Accueil et d’Orientation des Sénégalais de l’Extérieur), dont une des missions était de favoriser cette implication des migrants sénégalais à la vie économique, sociale et politique de leur pays, mais aussi de connaître et suivre la situation de chacun des Sénégalais de l’extérieur dans leurs différents pays d’accueil, de protéger leurs intérêts dans ces pays, etc. On peut noter, à ce sujet, que le Sénégal est un des rares pays en Afrique à avoir signé avec un pays d’accueil de ses migrants, l’Espagne, des accords pour protéger les migrants sénégalais dans ce pays.  L’Etat sénégalais a aussi compris qu’il est important de promouvoir le tourisme religieux. En effet, et pour ne prendre que cet exemple, à chaque Maagal l’Etat sénégalais  mobilisent « d’importants moyens pour permettre que ce regroupement humain se déroule dans de meilleures conditions d’hygiène, de sécurité et d’accès aux services de base » (Lo 2011) Il (l’Etat sénégalais) a dernièrement investi 100 milliards de francs CFA pour moderniser la ville de Touba (ibidem).  C’est l’exemple parfait d’un Etat qui se met au service de ces citoyens, et qui considère que la spiritualité fait partie des besoins de tout citoyen. C’est l’exemple d’un Etat qui met en pratique le caractère laïc de l’Etat, et qui considère les églises comme de véritables partenaires pour offrir pour le développement du pays et pour offrir aux citoyens la santé, entendu comme un état complet de bien-être morale, mentale, physique, spirituelle, etc.

 

En conclusion

 

Nous sommes d’avis avec Garbin et Pambu (2009 :109) que la question de Simon Kimbangu et de l’église kimbanguiste doit être un cas de conscience collective pour tout Congolais, et peut-être pour tous ceux qui militent contre les inégalités, l’exploitation, l’asservissement des peuples africains et des peuples noirs en général. Aussi, examiner et rechercher les mécanismes de son expansion est un objectif noble et citoyen. Dans cet article, nous avons voulu mettre la recherche scientifique à contribution pour examiner comment les migrations, ou si l’on veut les migrants kimbanguistes, contribuent à l’expansion de leur église.

A partir d’une recherche documentaire qu’il faudrait encore élargir et approfondir, il est apparu que l’église kimbanguiste a connu un développement spectaculaire, et fort louable, si l’on en juge par l’augmentation du nombre de ses fidèles, et celle de son espace géographique de rayonnement. Elle compte aujourd’hui plusieurs millions de fidèles à travers plus ou moins 38 pays du monde.

Les migrations ont beaucoup contribué à cette expansion. C’est notamment le cas des déportations des collaborateurs de Simon Kimbangu, 37 000 familles au total disséminées à travers le territoire national. Ces déportés se sont retrouvés entrain d’accomplir, quoique secrètement,  une véritable mission d’essaimage de leur église, ce que justement les autorités coloniales voulaient éviter en les déportant au loin.  C’est aussi le cas des migrations qui sont déclenchées et soutenues par l’église elle-même, notamment les migrations scolaires, le regroupement familial, et même les migrations de travail. Les migrants qui partent bénéficient de l’armement spirituel de l’église. Etant donné que la plupart d’entre eux ne retournent pas et que leur propension à retourner est plutôt faible, ils finissent par constituer la diaspora kimbanguiste,  qui joue sa partition à partir des lieux où ils résident. Ils y prêchent par leur foi, leurs prières, et par leur témoignage sur les œuvres kimbanguistes. Ils sont une véritable communauté,  dont les membres se soutiennent, partagent les coûts affectifs et économiques de la migration, créent et soutiennent de chaînes migratoires des fidèles kimbanguistes. Ce qui contribue à agrandir la diaspora et à étendre l’aire géographique et d’influence de l’église.

Les migrants kimbanguistes participent aussi à cette œuvre à travers leurs contributions matérielles et financières au fonctionnement et à la construction de leur église, dans leurs différents lieux de résidence mais aussi au niveau de l’église-mère au pays d’origine. Cependant, ces contributions semblent dérisoires pour plusieurs raisons, notamment un faible niveau d’intégration, une faible propension à retourner au pays d’origine, un attachement à l’église plutôt faible, et un environnement politique et économique peu stimulant voire hostile. C’est donc sur ces éléments qu’il faut jouer pour maximiser la contribution des fidèles kimbanguistes à l’expansion de leur église. Il faudrait doter ces fidèles d’ambitions plus grandes pour qu’ils réussissent leur intégration socio-économique dans les nouveaux pays et milieux de résidence, et mobilisent par conséquent davantage de moyens financiers dont une partie pourrait être versée à l’église. Il faudrait aussi aiguiser leur appartenance à leur église-mère, renforcer leur lien ombilical avec elle, en vue de soutenir leur implication aux différentes actions de l’église, y compris la participation aux grands évènements religieux. Le bicéphalisme que traverse actuellement cette église n’aide pas à atteindre un tel résultat. Il faudrait enfin que l’Etat favorise cette implication, en mettant en place en cadre macroéconomique stimulant et protecteur, et en dotant la ville de Nkamba d’infrastructures nécessaires qui puissent favoriser le tourisme religieux, et d’autres initiatives telles que la création d’industries et de micro-industries autour de Nkamba, d’institutions de micro-finances, etc.  

 

 

Références bibliographiques

 

  • Asch, S., 1983, L’Eglise du Prophète Kimbangu – De ses origines à son rôle actuel au Zaïre, Paris, Karthala.
  • Bava, S., 2002, Routes migratoires et itinéraires religieux. Des pratiques religieuses des migrants sénégalais mourides entre Marseille et Toulouse, Thèse de doctorat, EHESS, Marseille.
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15/10/2013
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